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Elles n'ont que ça à foutre

C'est une réflexion qu'on a toutes entendue, quand on discute de féminisme. En général c'est au sujet du Mademoiselle, de la galanterie, ou de l'accord des pronoms au féminin, vous savez, ces 'petits combats'.

Je pense être assez bien placée pour donner mon avis sur cette réaction car j'ai fait partie des deux camps, et ma transition s'est opérée en peu de temps.

Pourquoi j'ai pensé, comme beaucoup, que les 'petits combats' n'étaient pas importants ?

Et dans ma tête, pas importants se traduisait plutôt par crises d'hystérie de vieilles poilues et aigries. J'essaie d'expliquer(et je précise que j'ai aussi réalisé entre temps, qu'être vieille, c'est cool).

A cette époque (j'avais 25 ans environ) je n'avais absolument pas conscience de ma position d’opprimée. D'une part, parce que j'ai eu de la chance. D'autre part, parce que je me suis adaptée avec complaisance aux stéréotypes en vigueur de façon à trouver ma place.

J'ai eu de la chance, parce que j'ai eu une éducation relativement non sexiste. Mes parents ne m'ont jamais encouragée à être girly, ils m'ont incitée à continuer mes études et à m'investir dans mes loisirs. Ils m'ont aussi aidée à avoir de l'estime pour moi-même.

J'ai aussi suivi un cursus scolaire particulier qui m'a permis d'être toujours en tête de classe et donc de croire en mes capacités. J'attisais déjà des haines diverses et variées (oui une nana un peu directive et fière, qui a toujours la meilleure note, c'est pas dans l'ordre des choses - je vous rassure la société m'a bien changée depuis) mais je ne m'en suis pas sentie responsable - ce n'était que le début.

Je me suis adaptée aux stéréotypes, non en devenant une parfaite jeune fille, mais en devenant un parfait jeune homme. Comme beaucoup, j'ai assimilé que les filles, c'était superficiel, perfide et niais. Je ne m'y retrouvais pas. Je me suis donc mise à coller parfaitement au profil du jeune mec. Il y a des trucs qui me correspondent vraiment et qui sont cool (j'aime les jeux vidéo, j'aime bien picoler, j'aime bien regarder les jolies filles, je jure quand j'ai envie) et d'autres un peu moins (j'ai fait du slut shaming, j'ai méprisé les femmes qui correspondaient aux standards).

Quoiqu'il en soit, j'ai pu évoluer dans un milieu social épanouissant et suivre mon cursus scolaire sans encombres.

A mon arrivée dans le monde du travail, j'ai eu la chance de me trouver dans une équipe mixte dont les membres avaient de très bon principes. Je ne pense pas avoir été discriminée.

Il faut voir aussi que quand on commence en bas de l'échelle, les différences sont moins flagrantes que quand on essaie de monter. Je faisais le même travail que les autres, un travail technique qui plus est, donc facile à évaluer, et facile à mettre en valeur. Je pense qu'il est plus simple de s'affirmer quand on effectue des tâches concrètes que lorsqu'on travaille sur des tâches "immatérielles" ( par exemple communication, organisation).

Il y a des attitudes qui me révoltaient déjà. Lorsqu'un homme se permettait d'émettre son avis sur quelque chose qui ne le concernait pas, je bondissais. Par exemple critiquer la cellulite d'une telle, ou émettre un commentaire réprobateur sur le recours à l'IVG d'une autre. J'étais aussi en conflit avec mon mec de l'époque qui ne voulait pas entendre parler de ma contraception, alors que je souhaitais qu'il y participe financièrement et psychologiquement (aka, me rappeler de prendre ma pilule le soir, ou aller me la chercher en cas de besoin). Réponse systématique : (avec lassitude) "on en a déjà parlé ...."

Malgré ces indices, je n'avais pas l'impression qu'il était nécessaire de se battre, et je pensais que tout était déjà gagné pour les femmes.

Il y avait bien des femmes dans mon entreprise - elles étaient aux 4/5èmes, mais travaillaient autant qu'un plein temps. La plupart faisaient des bilans de compétences car elles étaient perdues. Je les trouvais tristes et sans ambition. J'étais persuadée que ça ne m'arriverait jamais car je ne voulais pas d'enfants et je refusais de sacrifier quoique ce soit à mon travail. Je n'ai pas compris que ce n'était pas elles le problème, mais l'entreprise, qui est inhumaine.

Alors voilà, lorsque j'entendais parler de ces femmes et ces hommes qui se battaient pour que le Mademoiselle ne soit plus utilisé, je les prenais pour des chieuses.eurs. Je ne voyais absolument pas en quoi l'utilisation d'un mot pouvait influencer une situation de société. Il n'y avait qu'à ne pas faire d'enfant et sacrifier sa vie pour son travail et on n'était pas du tout discriminé !

J'ai changé de travail. Je suis maintenant dans une petite entreprise dans laquelle l'ambiance est hautement toxique, pourrie par les égos démesurés de ses employés et par la nullité du management qui y règne. J'ai réalisé que je me prenais en pleine face les conséquences de ces petites choses pour lesquelles les féministes se battent.

Pourquoi ces combats sont-ils importants : des exemples.

Le Mademoiselle. Historiquement déjà, ce terme représente la transition de femme qui appartient à son père vers femme qui appartient à son mari. Au même titre que le mot Nègre représente l'histoire d'une ségrégation. En soi cela justifie de le supprimer. Mais au delà du côté symbolique, il a des conséquences concrètes. En l'utilisant, on met en oeuvre consciemment ou non, une mécanique de classement de la femme dans les catégories jeune et séduisante/vieille et moche, disponible/prise. Ces catégories ont été créées de toutes pièces par le patriarcat. Non seulement on les a imposées aux femmes, mais on les fait définir, ainsi que notre appartenance à l'une ou l'autre, par les hommes, et on convainc les femmes qu'elles ont envie et qu'elle doivent faire les efforts nécessaires pour passer ou ne pas passer de l'une à l'autre. C'est extrêmement pernicieux.

Quand un homme vous demande si "Madame ou Mademoiselle", cela n'est jamais innocent. Cela sert toujours à savoir s'il peut vous draguer (car il est bien connu que si on est célibataire on est forcément en recherche d'époux...), ou si vous êtes susceptible ou non de tomber enceinte dans l'année qui vient. C'est un outil mis en place par et pour les hommes.

La galanterie. De nombreuses femmes se sentent flattées qu'on leur tienne la porte, ou cède une place dans les transports. Elles ne réalisent pas à quel point c'est humiliant d'une part, et qu'elle obtiennent là, d'autre part, un faux respect, une mise en valeur, auxquelles elles n'ont pas accès dans les situations qui comptent vraiment.

Ce qu'il faut comprendre c'est que c'est exactement le processus inverse qui s'opère. On laisse aux femmes ces petits privilèges sans importance pour mieux les priver de ceux qui comptent. Cerise sur le gâteau, elles s'en sentent flattées, et l'homme galant gagne des points Testos. Elles ne comprennent pas qu'il est humiliant d'obtenir un traitement de faveur non par l'effort mais par la simple possession d'un utérus. Comment ça pourrait ne pas nous retomber sur la tronche ? Aucun geste n'est gratuit chez l'Homme.

Nous méritons le respect en tant qu'être humain, pas en tant qu'appartenant.e à une catégorie.

Il y a dans mon entreprise, un homme qui se branle l'égo en offrant tous les 8 Mars, une rose à chaque femme de l'étage. Je prends bien soin de poser un RTT ce jour-là, mais je me demande si cette année je ne vais pas juste venir et refuser son cadeau moisi.

Quand je m'horrifie de cette pratique, j'obtiens au choix des réactions amusées, lassées, ou bien des accusations de paranoïa ou d'hystérie (principalement par des femmes !).

Et bien c'est cette même personne, oui celle qui offre des fleurs, qui me coupe la parole à toutes les réunions, qui a une attitude condescendante dans chacun de nos échanges, qui m'humilie régulièrement en public en prétendant faire mieux son travail que moi.

C'est l'archétype du mec qui me cède une fleur à 50 centimes un jour dans l'année et qui me piétine de ses gros pieds dégueulasses le reste du temps.

Je précise au passage que je pense les grandes entreprises plus adaptées pour les femmes. On y est tous considérés comme de la viande, ok, mais au moins on y est tous considérés pareil.

Voilà pourquoi il est important de se défendre sur des plans qui paraissent symboliques au premier abord. Ces mots, ces idées reçues, qui paraissent anodines dans certaines circonstances, sont de puissants leviers discriminatoires dans d'autres.

Si je peux donner un conseil aux personnes qui pensent que les féministes "n'ont que ça à foutre", c'est d'aller discuter avec elles, écouter leur point de vue, être empathique. Ne pas juger à l'emporte pièce.

J'ajoute aussi que les féministes ont toujours été détestées. Même lorsqu'elle luttaient pour le droit de vote, ou pour le droit à l'IVG. Maintenant (presque) tout le monde pense que ce sont des évidences. Je crois qu'il faut accepter d'énerver les gens quand on milite, leurs filles nous remercieront dans 20 ans.

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Opprimée ? Laissez-moi rire ? Allez dans la rue et demandez aux femmes si elles sont heureuses ou non. Vous seriez surprises. Faut arrêter de voir le mal partout. De plus, si vous vous sentez opprimées, apprenez donc à voyager et allez dans des pays du moyen orient. La, vous constaterez la véritable oppression...
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